DYSLEXIE :
quel(s) enseignement(s) ?
Intelligents, travailleurs, appliqués, les enfants dyslexiques
ont tout pour réussir.
Mais aussi, quand l’enseignement ne prend pas leurs difficultés
en compte, tout pour échouer.
(Marie-Françoise DISPA.)
Il y avait ces
hiéroglyphes au tableau que je ne comprenais pas…
C’était une méthode
globale, avec des phrases à retenir par cœur, alors je les
retenais par cœur, mais quant à identifier des mots, c’était
tout à fait impossible…
« Grâce à un instit
hors pair qui m’a pris en charge », ces débuts laborieux n’ont
pas empêché Jean-François Delsarte de devenir lui-même
enseignant, puis directeur d’école, et enfin conseiller de la
ministre de l’Enseignement de la Communauté
française. Mais
malgré cette carrière que plus d’un lui envierait, il avoue que
« la période scolaire a été la plus difficile de ma vie ! »
Pour un dyslexique
non diagnostiqué, en effet, il suffit de quelques mois à l’école
primaire pour perdre toute estime de soi.
« A l’école, c’est toi le clown, explique Benoît, 13 ans.
C’est toi qui n’arrives pas à lire… »
Une intelligence normale
La dyslexie doit
donc être diagnostiquée le plus tôt possible, avant que
l’enfant, ébranlé par les critiques des enseignants et le
désarroi de ses parents, commence à vivre l’obligation scolaire
comme une épreuve.
Pourtant, la définition « officielle » de cette « difficulté
spécifique d’apprentissage du langage écrit » , qui est loin
d’être rare, puisqu’elle touche 8 à 12% de la population,
précise bien qu’elle n’est « pas imputable à un déficit
intellectuel, un trouble neurologique, un trouble sensoriel ou
une pédagogie inappropriée » .
Les enfants dyslexiques ne présentent donc pas de retard
mental. Certains
sont même brillants.. Mais ils ne sortent pas indemnes de la
comparaison avec leurs condisciples : « Il y a des choses que
je ne savais pas faire et que les autres faisaient sans
problème, se rappelle Laura, 16 ans et 140 de QI.
Alors je me disais : « Je ne suis pas intelligente… »
Confusion de
lettres – « vache » pour « fâche » - omissions ou inversions de
lettres ou de syllabes – « madale » pour « malade » - tendance à
raccourcir les mots lus ou au contraire à les allonger – « camel »
ou « carcamel » au lieu de « caramel »…
A l’entrée dans le
primaire, ces erreurs de décodage sont communes à tous les
enfants. Mais chez
les dyslexiques, elles sont anormalement fréquentes, et surtout
elles persistent au-delà des premiers mois d’école.
Persistance qui s’explique aussi par des difficultés
oculomotrices : « Les dyslexiques se plaignent souvent que
les lettres « bougent », remarque Anne-Marie Frère de la Fondation Dyslexie.
En fait, bien qu’aucune pathologie visuelle n’ait été
détectée, la recherche a montré que 75% des enfants dyslexiques
présentent une instabilité de fixation et que leurs yeux
convergent et divergent plus difficilement que ceux des autres
enfants. »
Déclic ?
Sur la cause de la
dyslexie, les chercheurs en sont encore réduits aux hypothèses ;
« Comme elle a un caractère familial dans 70% des cas,
l’explication génétique ne peut pas être écartée, même si elle
ne s’applique manifestement pas à tous les dyslexiques,
remarque Nicole Laporte, logopède aux Cliniques Universitaires
Saint-Luc. Mais
l’hypothèse la plus fréquemment avancée à l’heure actuelle est
une migration anormale des neurones pendant la vie fœtale.
Tout semble indiquer que le cerveau des dyslexiques a
subi, vers la fin de la grossesse, une agression d’ordre
chimique, hormonal ou immunitaire, responsable d’anomalies qui
modifient ses capacités d’apprentissage du langage.
Temporiser dans l’attente d’un « déclic, comme le
conseillent encore certains soignants, est donc la pire des
attitudes ! »
Eleni Grammaticos,
neurolinguiste à l’ULB Erasme et présidente de l’Association
belge de parents d’enfants en difficulté d’apprentissage
(APEDA), recommande même aux parents de ne pas attendre la
première primaire pour s’inquiéter : »Dès la première
maternelle, il existe des signes d’alerte : un retard de
langage, mais aussi des difficultés motrices et de manipulation
– l’enfant est anormalement maladroit – ou des problèmes de
mémorisation doivent les pousser à consulter un neuropédiatre. »
Même s’il n’a
éveillé aucune inquiétude en maternelle, d’ailleurs, un enfant
qui rame en première primaire doit passer un test chez un
logopède – test organisé gratuitement, à la demande des parents,
par le centre PMS relié à l’école – de préférence dès la fin du
premier trimestre.
« Si la dyslexie est confirmée, un programme de rééducation
adapté à l’enfant pourra être mis en place avant qu’il ait eu le
temps de se décourager ».
précise Nicole Laporte.
Bien que cette rééducation ne « guérisse » pas la
dyslexie – un dyslexique le reste toute sa vie – elle permet,
chez beaucoup d’enfants, de récupérer la lecture à 90%.
Mais elle est moins efficace sur la dysorthographie, qui
s’installe chez deux tiers des dyslexiques, reprenant les
additions, omissions et inversions observée en lecture, en y
ajoutant fusion de mots (« ilaplu » pour « il a plu »),
découpage incorrect (« il et coute » pour « il écoute ») et
autres confusions de genre et de nombre
Des aides spécifiques
A ce stade la question se pose : quel enseignement pour les
dyslexiques ?
« Avec un bon suivi logopédique, qui n’est malheureusement
remboursé que pendant deux ans, et une famille très soutenante,
le maintien dans l’enseignement ordinaire est possible, constate
Eleni Grammaticos.
Mais il aurait plus de chances de réussir si les enseignants
étaient mieux informés sur les troubles spécifiques de
l’apprentissage. »
Pour combler cette
lacune, l’APEDA a publié deux guides gratuits, l’un destiné aux
enseignants du fondamental et l’autre à ceux du secondaire et du
supérieur. « Le but
est de les amener à s’interroger sur l’aide qu’ils peuvent
apporter à un élève dyslexique, explique Eleni Grammaticos.
Nous leur conseillons, par exemple, d’évaluer oralement
les connaissances de l’élève dans les branches où il a échoué à
l’écrit à cause de sa mauvaise orthographe. »
L’introduction de certains
aménagements – recours à un logiciel de lecture, système de
cache pour faciliter le suivi de la ligne, examens oraux… - peut
également faire la différence.
« Il faut évidemment expliquer aux autres élèves que
ce n’est pas du favoritisme.
Mais qui interdirait à un enfant myope de porter ses
lunettes à l’école ? »
Pour les enfants en
difficulté d’apprentissage, il existe également un enseignement
spécialisé dit « de type 8 ».
« Pour les parents, le mot « spécialisé » est
parfois difficile à entendre, remarque Eleni Grammaticos.
Mais si un enfant a des
difficultés globales, en calcul comme en français, compliquées
de troubles instrumentaux – attention, concentration, mémoire,
motricité fine – il risque d’être rapidement largué dans
l’enseignement ordinaire et d’en sortir complètement détruit. »
« L’idéal serait sans doute de multiplier les expériences
d’enseignement « intégré », version améliorée de l’enseignement
ordinaire : « On intègre dans une classe de l’enseignement
ordinaire cinq ou six élèves relevant du type 8, explique
Jean-François Delsarte, et on dégage un enseignant du type 8
pour leur apporter, en collaboration avec le titulaire, un
soutien correspondant à leurs besoins spécifiques, tout en leur
permettant d’apprendre au même rythme que le reste de la classe.
Pour l’année 2009-2010 – La première où a été appliqué le
décret intégration – la Communauté française a
déjà totalisé 511 élèves intégrés, dont la plupart du type 8..
Jury
En primaire, les
jeunes dyslexiques ont donc le choix.
« Mais dans le secondaire, il n’y a plus ni
enseignement de type 8 ni classes intégrées, déplore
Anne de Borrekens, directrice de l’école privée Saavutus, qui
prépare de jeunes dyslexiques aux jurys de la Communauté
française. Tout
se passe comme si, après le CEB (Certificat d’Etudes de Base),
ils étaient censés être « guéris ».
Résultat : ils ne parviennent pas à suivre, se
démotivent, et arrivent très abîmés dans des écoles comme la
mienne, où tout ce qui les handicape dans l’enseignement
traditionnel –pénalisation pour l’orthographe, obligation de
prendre note au vol, etc. - est supprimé.
Ca n’a rien de magique : on pourrait le faire dans
l’enseignement ordinaire, si on voulait s’en donner la peine !
Même si la question
« Quel enseignement pour les dyslexiques ? » est loin d’être
résolue, l’élaboration d’un cours en ligne gratuit, « La
dyslexie : comment l’identifier et que faire ? », destiné
aux enseignants et réalisé par Dyslexia International asbl à la
demande et avec le soutien financier du ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, va peut-être permettre de
lever un des principaux obstacles auxquels se heurtent les
dyslexiques : l’incompréhension du corps enseignant.
Il a été présenté en février dernier à l’Unesco, au Forum
mondial sur la dyslexie, et sa version anglaise a déjà été
+testée avec succès dans 14 écoles européennes.
« Parce qu’ils sont sur le terrain avec les enfants, les
enseignants sont des acteurs privilégiés dans le traitement
de la dyslexie, insiste Eleni Grammaticos.
Il faut absolument éviter que, par pure méconnaissance du
problème, leur contribution se limite à marquer « N’étudie pas
assez » sur les copies constellées de fautes d’orthographe des
jeunes dyslexiques ! »
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